Blabla


    - Mais quand tu penses, tu le fais en quelle langue ?

L’année dernière, dans le salon. Mon père remarque que je tend l’oreille pour écouter maman qui discute avec Nany dans la cuisine (on a une maison avec très peu de murs) et en même temps continuer d’argumenter avec lui mon avis sur un sujet quelconque.

Il me pose la question et moi j’adore quand il y a un peu d’admiration dans ses yeux, j’adore quand il pense que j’ai le don incroyable d’etre trilingue. C’est a la fois flatteur et ridicule, parce que maintenant tout le monde peut être trilingue, regardez les p’tit suisses.

Je souris et lui dis que ca dépend, mais la plupart du temps je pense en français. Il me demande pourquoi cette préférence, pourquoi pas ma langue maternelle. Je lui dis que c’est parce que je trouve que le français est une très belle langue, a la fois riche et emmerdante.

J’aime le français pour ses conjugaisons, ses invariables, ses règles, ses exceptions, et tout les coups de putes grammaticaux qu’elle peut t’infliger. J’adorais les exercices qu’on nous faisait faire dans le bled ou la balle en CM2, j’adorais faire des fautes quand j’ecrivais des trucs simples mais avoir la note maximale en dictée.

La différence entre le français et le thaï,c’est que la première est une merveille pour l’écriture et que la seconde est juste insupportable a lire. Un exemple qui me froisse très souvent : les répétitions. Au collège, ma prof nous faisait faire des rédactions d’une copie double et si elle trouvait des répétitions elle les entourait et les reliait entre elles sur les deux pages. Cette prof est folle, et c’est un peu pour ca que je me suis inscrite a ses cours de latin. J’apprenais la racine d’une langue mourante avec une langue deja morte. C’est un peu comme demander a ta mamie de te parler de ses parents ; c’est super enrichissant. Tu te rends compte qu’en français on a quinze mots pour remplacer un seul, avec le but de faire quelque chose de fin, d’agréable a lire. En thaï c’est tout le contraire, un mot pour un mot au mieux et un mot pour 300 au pire.

Exemple : « ban dai » ca veut aussi bien dire « echelle » que « escaliers » que « escabot » que « escalator » c’est juste la notion de monter, après tu te démerdes pour savoir comme tu montes.

En thaï, on se contrefous des répétitions, tu peux écrire quinze mille fois le même mot, ca passera sans problème. C’est la principale raison pour laquelle je ne supporte plus de lire des textes en thaï (ca et le fait que tout les mots sont collés ensemble alafincestvraimenttresfatiguantpourlesyeuxetlecerveau) Pour eux c’est naturel, ca ne dérange personne et au final c’est de ma faute a moi si j’arrive pas a lire mes cours ; je suis trop attachée aux règles de français. J’ai horreur des répétitions, alors que eux c’est limite une règle pour qualifier les choses.

Exemple : « cette route est longue » un thaï va dire « Cette route est longue longue » En insistant sur l’adjectif, en le répétant, on le rend plus fort, plus conséquent, comme pour te dire que bordel j’te dis que c’est long tu comprends pas je te le répète. Imaginez ce que ca donne pour « Je voudrais bien une nouvelle coupe de cheveux jolie et tendance » Calculez une répétition par adjectif et vous saurez pourquoi je ne lis plus  de magazines.

Heureusement, a l’oral ca c’est un peu moins agaçant, et quelques fois vous pouvez même discerner sous ces tics beaucoup plus qu’une vérité. A l’intonation, a la façon de finir la phrase, au choix du mot a répéter, on devine plein de choses, et pour dire vrai je passe plus de temps a observer ca qu’a les écouter vraiment.

Exemple : un thaï vous raconte une histoire et vous lui demandez si c’est vrai « Jing ?» il vous répondra « Jing jing ! » au lieu de vous dire un simple oui. Vous pouvez donc être sur que son histoire est fausse. Tout comme en français on a des variantes de  « j’te jure » ou de « la vie de ma mère » pour ponctuer un récit plus ou moins exagéré.

On retrouve aussi ce même principe de répétition complètement inutile en chinois, mais en plus, avec les verbes. Ce qui donne les Ting tings.

La première chose que m’a apprise mon prof de thaï (a part des poèmes ignobles qui datent de mille ans dont tu ne comprends aucun mot) c’est que notre langue est une langue musicale. Avec cinq accents differents dans ta gueule, tu peux que le croire.

Exemple : si je vous écrit « Khai » vous le lirez « Khai » mais selon votre intonation ca donnera soit « Œuf » soit « Fièvre » soit « Ouvrir avec une clé » C’est pour ca que les touristes se font envoyer a l’epicerie quand ils veulent acheter de l’aspirine.

J’ai la chance (et le malheur) d’avoir une maman très bavarde, ce qui fait que je n’ai jamais perdu cette faculté auditive, même en France. Sinon je vous dis pas comment j’aurai galéré ici, dans le sud, ou les gens on un putain d’accent et déforme tout les mots comme ils le veulent, les remplacent ou crée des nouveaux et ponctuent les phrases de jurons (oui comme les marseillais)

Mais je vais pas dire que du mal, si je me suis donnée autant de mal a apprendre cette langue c’est pas seulement parce que c’est une partie de « l’héritage culturel de maman » comme disait l’autre. Si le français est une langue littéraire, le thaï est une langue très orale, qui fait qu’elle est magnifique quand elle est parlée.

Exemple : quand vous lisez « se blottir, se lover » vous avez tout de suite une sensation qui vient, quelque chose d’agreable. En thai plein de mots on rapport avec les sens, on dirait qu’ils ont etes crees par rapport a ce que tu dois ressentir une fois dits ou entendus.

Mais plus que ca, plus que tout, ce que j’aime c’est que c’est une langue affectueuse. Il y a des « na » qui terminent des phrases pour marquer une petit « s’il te plait » tout mignon. Il y a des « ja » qui veulent dire « oui » mais en plus tendre. Quand tu aborde quelqu’un dans la rue, selon son age, tu vas soit l’appeller « grand frère » soit « mon oncle » mais jamais, jamais « monsieur » Il y a une myriade de mots pour designer ce que représente chaque personne pour toi. Encore des exemples : comme je suis la plus âgée de ma classe, j’appelle tout mes camarades « mes enfants » je suis pas matriarche pour rien. Un femme appellera son mari « phi » parce que pour elle il est aussi son grand frère. Ma Nany m’appelait toujours « nou-Jenny » c’est un peu comme le « -chan » en jap. Autant de marques d’affection qui se transmettent dans les mots de tout les jours, dans chaque dialogue, et c’est un joli contraste quand on sait qu’ils sont trop pudiques pour dire des vrais « je t’aime »

J’ai pas expliqué tout ca a mon père, j’avais pas envie de partager ca avec lui. Déjà parce que je lui en veux pour plein de choses(le priver d’un peu de moi alors qu’il me connait a peine c’est ma seule arme) mais aussi parce que lui il aime la Thaïlande, moi pas. Je suis née ici mais c’est en France que j’ai grandi, que je me suis construite. L’excuse officielle de mon retour, de ma présence ici, c’etait pour récupérer le thaï écrit. Mais c’est pas vrai. Si j’avais eu le choix je n’aurai jamais choisi faire mes années de lycée sans mes amis. Je n’ai jamais accepté le fait qu’on me brise pour que je me reconstruise plus forte qu’avant. Je suis peut être reconnaissante mais je leur en voudrai toujours au fond. Même si aujourd’hui, le défi est relevé. Je sais lire et écrire parfaitement le thaï. Son alphabet a la con, ses 44 consonnes et ses 8 voyelles, ses mots formes de façon absurde, ses milliards de caractères collés les uns aux autres sans aucune ponctuation, je les ais maîtrises au prix de 3-4 mois d’etat larvaire, a réviser et pleurer sur mes bouquins dans ma chambre.

C’etait soit se taillader les veines soit réussir. J’etais reçue dans 3 écoles. J’ai fait mes 3 ans. Dans 3 mois je suis loin d’ici. Renaitre encore une fois.

Avoir réussi sans aucune aide, en étant seule ici, ca a fait que pour moi le thaï est ma plus grande victoire. Mais je l’associerai toujours a une période horrible de ma vie, c’est pour ca que je pense, je rêve, et je parle en français. Le français aura toujours le dessus.